lundi 24 novembre 2008

La Marche de Radetzky de Joseph Roth

Lors de la bataille de Solférino, le lieutenant d'infanterie Joseph Trotta sauve la vie de l'empereur d'Autriche François-Joseph, qui le récompense en lui accordant le grade de capitaine et le titre de Baron. Mais cette distinction éloigne notre homme de ses compagnons et de son père, modeste paysan slovène. Coupé de son milieu familial et de ses troupes, il se retrouve enfermé dans une position sociale qui ne lui convient pas. Des années plus tard, découvrant par hasard que le pouvoir a falsifié la réalité historique de son acte de bravoure, tous ses repères volent en éclat. Il quitte l'armée et se retire dans son domaine de Bohème, amer et désabusé. Et c'est à travers son fils, préfet enfermé dans une loyauté et une foi aveugles dans l'Empire, et son petit-fils, poussé à intégrer l'armée dans le respect de la légende des Von Trotta, que l'on suivra le déclin de la lignée, en parallèle avec l'effondrement du régime. Du point de vue stylistique, il y a une musique, un rythme dans les phrases de Roth et une évocation de sons, de couleurs, d'odeurs, qui transmettent parfaitement les émotions des personnages en dépit d'une écriture sobre. Sans envolée lyrique, l'auteur nous offre une oeuvre où l'émotion perce souvent sous une apparente rigidité. Et cette musicalité, tout comme "La Marche de Radetzky" qui retentit plusieurs fois dans le roman, rythme le destin de la famille Von Trotta, en résonance directe avec celui de la Monarchie des Habsbourg. Car l'auteur évoque aussi la fin de l'Autriche-Hongrie, en proie aux révoltes des nations, à la montée du socialisme, incapable de s'adapter aux évolutions de la Société, et donc condamnée à disparaitre - tout comme les Von Trotta. La variété des lectures possibles (l'inéluctabilité du destin, l'analyse historique, la galerie des personnages...), en fait également un livre d'une rare richesse. J'ai vraiment aimé ce roman, pour lequel je n'hésite pas à parler de chef d'oeuvre. Mais au-delà de l'analyse, de la peinture d'une époque et d'une société en désintégration, j'ai été émue par les portraits des personnages. Leurs réactions, leurs doutes, leurs désillusions leur donnent une profondeur et une humanité qui a vraiment touché quelque chose en moi - le fils, notamment, que l'on sent mal compris de tous car la rigidité de son caractère le pousse à dissimuler ses sentiments. De la même manière, ce roman magistral est une fresque poignante, mais d'une sobriété qui en renforce l'intensité. C'est un grand roman, à lire absolument.
Fanny Lombard

Aucun commentaire:

Publicité