mercredi 14 décembre 2011

Monstrueux de Natsuo Kirino


Deux prostituées ont été assassinées à Tokyo, vraisemblablement par le même homme. Anciennes élèves du même prestigieux lycée, elles étaient pourtant bien différentes : Yuriko avait été une fille sublime, dont la beauté surnaturelle se doublait, selon sa soeur, d'une sorte de vide; quant à Kazué, salariée d'une grande entreprise, intelligente mais au physique ingrat, elle n'avait jamais réussi à s'intégrer parmi ses pairs. Alors que s'ouvre le procès de leur meurtrier, la soeur de Yuriko, cynique et dévorée par la jalousie, revient sur son enfance, sur sa scolarité et sur ses rapports avec les deux victimes.

Ce thriller est atypique à plus d'un titre, et d'abord parce que l'identité de l'assassin importe peu. Ce qui compte, c'est la destinée de ces femmes, la façon dont leur "monstruosité" a fini par les détruire. Le témoignage de l'assassin et les journaux des deux prostituées s'insèrent dans le long récit de la soeur de Yuriko, qui s'adresse directement au lecteur. L'écriture, fluide et agréable, soutient cependant un récit souvent glauque : s'il dépeint le destin sordide de Yuriko et Kazué, ce n'est pas tant la prostitution qui en est la cause que leur incapacité à s'insérer dans la société Japonaise. A cet égard, tous les personnages sont logés à la même enseigne : n'y trouvant pas leur place, ils sont vécus comme des monstres. Ce thème, ainsi que ceux de la place des femmes ou du rôle du sexe comme forme de pouvoir, dans un Japon aux normes sociales corsetées, ont pourtant une résonance universelle.

Au début un peu déroutée, j'ai finalement été emballée par ce thriller psychologique, et si j'ai déploré certaines digressions, j'en ai compris la finalité au fur et à mesure que j'avançais dans ma lecture. De même, je me suis attachée aux personnages, au début franchement antipathiques, mais qui se dévoilent au fil des pages, mettant à nu leurs fragilités. Reste que le ton, comme le propos, a quelque chose de dérangeant : le cynisme de la narratrice, sa haine aussi, sa façon de disséquer les autres protagonistes et les liens qui les unissent, accentuent l'impression de malaise à la lecture d'un roman magistral, mais empreint d'une profonde noirceur. C'est un livre psychologiquement violent, pessimiste et qui, personnellement, m'a remuée - mais un excellent livre, pour l'acuité de l'analyse comme pour la perspective, surprenante, de l'intrigue.


Fanny LOMBARD

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