mardi 29 septembre 2009

Venise en hiver de Emmanuel Roblès

Vers la fin des années soixante-dix, l’Italie paraît en pleine déliquescence. Secouée par les scandales plus ou moins étouffés, saignée par la fuite des capitaux et gangrenée par la corruption jusqu’au sommet de l’État, elle subit la violence quotidienne des attentats terroristes d’Ordre noir et des Brigades rouges. Hélène, une jeune Française de vingt-huit ans, arrive à Venise au début de l’hiver. Ce voyage n’a rien d’un séjour d’agrément. Hélène fuit. Elle fuit Paris, elle fuit un passé que le narrateur nous dévoile peu à peu et dont je ne dirai rien pour ne pas émousser le plaisir du lecteur. Elle a tout abandonné et s’installe chez sa tante mariée à un Vénitien. Au cœur de cette ville singulière, ultime refuge encore à l’écart d’une certaine modernité, elle cherche à renaître, à naître véritablement et à vivre enfin: « Ici, à Venise, je suis arrivée. De tout temps Venise était ma destination. Tout ce qui a précédé ne compte pas. Ne compte plus. N’a jamais compté. » Mais cela ne va pas sans difficultés, ni sans douleurs. Il lui faut échapper à ses déprimants souvenirs, à cette prison où parfois son esprit s’épuisait à tourner. Emmanuel Roblès, ami proche d’Albert Camus, a plus de soixante-cinq ans lorsqu’il écrit ce roman. Dans un style sobre et efficace, il nous dépeint par petites touches la vie quotidienne des Vénitiens. Ceux du peuple qui travaillent dur et brûlent parfois leurs poumons dans les usines de Marghera, la cité industrielle dont les torchères fument en arrière-plan de la lagune comme pour nous rappeler que même la Sérénissime ne peut se soustraire à l’emprise de notre époque ; ceux aussi des milieux aisés, Vénitiens de souche ou d’adoption, aux destins divers et qui vivent cloîtrés dans leurs riches demeures ; et Venise bien sûr, vidée de ses touristes et presque fantomatique dans la brume ou sous la neige, avec une profusion d’instantanés drôles ou pittoresques saisis au vol. Au fil des pages, un suspense savamment entretenu – presque trop pourrait-on dire – maintient l’attention en éveil. L’atmosphère n’est jamais pesante et pourtant on est tenu en haleine. Et le lecteur de s’interroger : est-ce seulement pour Hélène que mon cœur bat si fort ? Sans doute pas, car des craintes bien plus universelles sont clairement mises à nu : la fragilité du bonheur et la versatilité du destin. La vie peut basculer à tout instant et cela n’est pas vrai que pour Hélène. La violence des hommes reste une menace permanente, celle des terroristes bien sûr, mais aussi celle, plus banale, plus insidieuse, des individus prêts à écraser les autres pour assouvir leur égoïsme. Tout au long de l’interminable lacis des calli qu’elle parcourt presque sans relâche, la fragile Hélène, dressée à attendre depuis l’enfance, tente de s’étourdir, de se perdre pour mieux se trouver. Parviendra-t-elle au terme de sa douloureuse métamorphose ? Sortira-t-elle indemne de sa pesante chrysalide et sera-t-elle enfin elle-même, libre et heureuse ? Daniel REYNAUD

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