vendredi 20 juillet 2007

Le fantôme de Canterville d'Oscar Wilde

L'humour anglais, on aime ou on déteste. Personnellement, j'aime, beaucoup même et quand c'est sous la plume d'Oscar Wilde, c'est encore mieux!
Si cela me permet en plus de pénétrer dans l'intimité d'un fantôme, alors là je jubile! Moi qui rêve depuis si longtemps d'en rencontrer un, un terrible, un affreux capable de prendre des aspects différents selon sa fantaisie et le succès qu'il a recueilli lors de ses précédentes apparitions. Bref un fantôme étrangement semblable à celui de Canterville. Me rangerais-je néanmoins dans la catégorie des courageux qui l'affrontent sans la moindre panique comme les membres de la famille Otis? Rien n'est moins sûr! Mais le continent américain dont ils sont originaires, moderne et en pleine expansion génère des individus pragmatiques capables de se confronter aux réalités les plus extrêmes. N'ont-ils pas conquis cet Ouest indomptable? De quoi désespérer un fantôme de 300 ans d'âge qui pourtant s'applique à effrayer selon les règles normalement infaillibles de sa catégorie socio-professionnelle! Un désespoir qui conduit à l'irrémédiable: mourir, mourir pour de vrai, enfin! Voilà un conte rafraîchissant qui, bien que proposé à un public de jeunes, se lit avec le plus grand plaisir par ceux qui savent réveiller en eux un imaginaire d'enfant. Le second conte "Le crime de Lord Arthur Savile" commence sur une idée fort originale: comment accomplir le plus rapidement possible une part encombrante de son avenir révélée par un chiromancien, afin de continuer sereinement sa vie? La solution trouvée en dit long sur la logique humaine et sur la manière que l'on a de vivre son destin. Malgré un développement court mais riche en péripéties, j'aurais vu pour ma part un épilogue plus à la hauteur de l'originalité du propos. Un coup de théâtre par exemple. Il n'empêche, le style savoureux de l'auteur sauve largement cette petite faute de goût. Le troisième conte " Le millionnaire modèle" est une histoire beaucoup plus conventionnelle. Très court, il met en scène un type de situation fréquemment rencontré dans ce genre de littérature et la fin très morale, qui tranche carrément avec celle du précédent, laisse une impression de "déjà vu". Néanmoins, ce livre agréable est à mettre entre les mains de tous les grands enfants. Florence TOUZET

jeudi 19 juillet 2007

La tunique d'infâmie de Michel Del Castillo

« Choisi » par Son Excellence Manrique Gaspar del Rio, célébre inquisiteur, Michel del Castillo, doit comprendre la vie de Manrique et ainsi en découvrir le secret essentiel. Ce dernier, fervent catholique, qui deviendra évêque de Palencia a été élévé par son oncle Almagro à Soria, bourg pauvre et montagnard. A Salamanque Manrique connaîtra Gonzalvo, qui l’aidera à devenir Inquisiteur. A Valladolid lors d’un autodafé son regard croisera celui de Guillermo Lopez, médecin, chirurgien mais... juif ce qui lui vaut de passer sur le bûcher. A Grenade, après avoir vu la vieille Antonia Gomez se faire torturer par l’Inquisition, Manrique demandera un entretien avec la suppliciée. Mais quel est le dénominateur commun entre Manrique, Gonzalvo, Guillermo Lopez et Antonia Gomez ? Ce livre nous mène dans une Espagne d’une autre époque, celle de la « chasse » au non catholique, des conversos, des hérétiques, des derniers Maures d’Espagne. Outre le côté historique, ce livre est construit d’une façon très originale ce qui en fait son charme je trouve. L’auteur suit les traces de Manrique (ceci à 300 ans de distance) et à chaque fin de chapitre Manrique donne son opinion sur les écrits de Michel del Castillo. De plus lorsque l’auteur piste Manrique il s’adjuge le droit de nous faire voir l’histoire de sa vie en pointillé. La Guerre Civile, l’exode, le retour dans l’Espagne de l’après guerre, la mort du Caudillo. Il est clair que Michel del Castillo n’ a pas voulu écrire un livre autobiographique dans le sens strict du terme. L’auteur a préféré que l’Inquisiteur Manrique «voit » notre siècle et le lecteur celui de Manrique. Les descriptions, de l’existence des gens, des villes et paysages traversés par Manrique et l’auteur, sont simples et réalistes. Ceci ajouté à l’intrigue de la vie de Manrique et à l’amalgame de la vie de l’auteur font de ce roman, qui n’est point rébarbatif à lire loin s’en faut, une œuvre très intéressante à lire pour qui aime l’histoire de l’Espagne. Edouard RODRIGUEZ

mercredi 18 juillet 2007

Le désert des Tartares de Dino Buzzati

« Je m’appelle Zangra et je suis lieutenant au fort de Belonzo qui domine la plaine d’où l’ennemi viendra qui me fera héros » Si l’on change Zangra par Giovanni Drogo et le fort de Belonzo par le fort Bastiani, ces paroles de la chanson de Jacques Brel résument le roman de Dino Buzzati. Comment une telle histoire a-t-elle pu donner l’un des grands livres de la littérature mondiale ? Parce qu’il s’agit d’une allégorie permettant à Dino Buzatti de développer des thèmes d’une portée universelle : le temps et la mort. A force de faire jour après jour les mêmes tâches, de côtoyer toujours les mêmes personnes, Drogo vit dans un éternel présent : « hier et avant-hier étaient semblables, il n’était plus capable de les distinguer l’un de l’autre », alors que les jours, eux, s’accumulent jusqu’à devenir des années. En découpant son livre en trente chapitres de longueur presque égale, Dino Buzzati cherche à nous faire ressentir, en ne distinguant aucun chapitre par rapport à un autre, les journées toujours identiques que vît Drogo. Cette tyrannie du présent, ces occupations futiles permettent à Drogo d’éviter de penser à son véritable ennemi, la Mort, figurée par les Tartares. Ainsi, Drogo, comme toute la garnison, attend un hypothétique combat « qui le fera héros » pour que son nom en entrant dans la postérité fasse de lui un être éternel. L’histoire de Drogo est celle de tout un chacun : englué dans la routine quotidienne ne cherchons nous pas à fuir, à éviter de penser à notre mort et, par conséquent, au sens que nous avons donné à notre vie. Un livre qui réussit le tour de force de nous parler de l’attente sans nous ennuyer une seule seconde. Il y a certains livres, une fois la dernière ligne lue, qui continuent à nous « hanter » et nous retiennent assis dans notre fauteuil (ou couchés dans notre lit avec deux gros oreillers en appui-tête) comme s’ils ne voulaient pas, qu’immédiatement, nous passions à un autre ouvrage ou que nous nous livrions à toute autre activité. Un livre inoubliable à méditer et à relire. Laurence TESTU

mardi 17 juillet 2007

Le bonheur en partage de Maeve Haran

« Le bonheur en partage » commence comme un conte de fée des temps modernes : Liz est une jeune femme épanouie, comblée par la présence de ces deux enfants, d’un mari aimant, de très bonnes vieilles copines et d’un travail dont elle rêvait et pour lequel elle se sent prête à remuer des montagnes. Cependant le conte de fées ne dure pas, la belle machine de la vie s’enraye et très vite Liz se trouve confrontée à toutes sortes de difficultés. Non contente de devoir se battre pour faire passer ses idées, elle ne voit plus ses enfants, son couple s’étiole jusqu’à la rupture, tous ses évènements aboutissant à un changement radical de vie. Heureusement comme tout bon roman, l’histoire de Liz et de son petit monde se termine bien ! Dès que l’on a lu les premières pages il est difficile de s’arrêter, on s’attache très vite aux personnages, quelques rebondissements permettent de garder le rythme du roman qui est par ailleurs très facile à lire. Mais ce qu’il en ressort surtout, c’est que toute femme qui lit ce livre, même si elle n’a pas un poste aussi élevé que Liz et ses amies, retrouve ce à quoi elle est confrontée dans sa vie quotidienne : le stress et la pression dans le travail, l’éducation des enfants, les relations dans le couple … Ce roman nous fait prendre encore plus conscience des réalités que l’on vit tous les jours, qui nous pèsent parfois, mais que l’on finit par accepter et par oublier un certain temps. Quelle femme n’a pas rêvé ou ne rêve pas de faire un break, de partir pour se consacrer enfin à elle, à sa famille? Pour Liz, la rupture avec son entreprise concomitante avec celle de son couple est un coup dur. Mais une fois la situation acceptée, installée à la campagne, sans réels problèmes financiers, elle apprécie son nouveau rythme de vie, le temps qu’elle a pour se consacrer à ses enfants, à son nouveau logis, son jardin… Cet état de léthargie ne peut bien sûr pas durer toute une vie, mais il permet de se retrouver, de se reposer afin de repartir d’un pas léger vers de nouvelles aventures et rebâtir un avenir. Les femmes se sont battues pour obtenir l’égalité avec les hommes, la parité est un sujet toujours plus d’actualité, le statut même des femmes dans les entreprises a bien évolué durant les dernières décennies. Mais à quel prix s’est faite cette évolution ? Toujours moins disponibles pour nos proches, il est important de faire des enfants le plus tard possible, et si l’on en a, il faut accepter le fait que notre évolution sera mise à mal, le quotidien pèse toujours autant mais on a voulu cette égalité, nous devons l’accepter ! La meilleure solution Liz et ses amies l’ont trouvée : le temps partiel. J’ai presque envie d’en demander un dès demain ! Frédérique CAMPS

lundi 16 juillet 2007

Mon père d'Eliette Abécassis

On entend toujours cette phrase en psychologie : les garçons préfèrent leur maman et les filles leur papa. Jusqu’où peut aller cette adoration, cet amour filial ? Quel que soit l’âge auquel elles perdent leur père tant adoré, idolâtré, idéalisé, mis sur son piédestal, le deuil est difficile à faire. Et quand on découvre que cet homme n’était pas celui que l’on croyait, comment réagir ? Cette question va tourmenter Helena après la mort de son père tant aimé, et la rencontre avec un demi-frère dont elle ignorait l’existence, avec qui elle devra partager son idole, et ils partiront ensemble à sa découverte. Elle devra aller jusqu’en Italie, pour « renaître » avec des blessures et des déceptions. Le thème de ce roman est le rapport père/fille. En philosophie on pourrait comparer ce lien avec le rapport à Dieu. En effet, tout comme on peut se sacrifier pour lui, Helena le fait pour ce père qui apparaît si surréaliste. On peut même comparer son comportement à du fanatisme. D’ailleurs, quels ont été ses rapports avec sa mère ? Faisons une parenthèse sur l’auteur, pour signaler que Eliette Abécassis a un père qui est un célèbre philosophe, et qu’elle-même a fait des études de philosophie, dont elle a d’ailleurs un doctorat. C’est donc en partie une autobiographie qu’elle a écrite car ses rapports avec son père sont comme ceux de son héroïne et Eliette n’hésite pas à faire apparaître ses origines juives dans son livre. J’ai choisi ce roman à cause de son titre, « Mon père », car je voulais savoir comment d’autres femmes survivent à la mort de leur père adoré, ayant pour ma part du mal à survivre au mien mort le jour de mes 18 ans. Écrit dans un style simple et agréable, le live est facile à lire. Personnellement, je me suis entièrement laissée emballer dans le récit, et j’étais comme Helena, avide de connaître le vrai père.On se rend compte jusqu’où une femme peut aller par amour par son père, un élan parfois supérieur à celui qu’elle peut porter à un autre homme. Marie Isabelle ALONSO CHEMINAL

vendredi 13 juillet 2007

Mémoires sauvés du vent de Richard Brautigan

« Mémoires sauvés du vent » raconte les souvenirs d’un enfant qui a 13 ans en 1948. Le narrateur, aujourd’hui adulte, nous évoque ses moments passés au bord de l’étang à taquiner les poissons, sa rencontre avec le veilleur de nuit de la scierie d’à côté auprès duquel il récupère des bouteilles de bière pour se faire un peu d’argent. Il nous parle aussi de ces gens étranges qui déballent leurs meubles chaque fois qu’ils viennent pêcher, de sa fascination morbide pour les enterrements (sa mère et lui ont habité dans l’annexe d’une maison de pompes funèbres transformée en appartement) et de la disparition de son ami David tué malencontreusement par une balle lors d’une partie de tir à la carabine sur des pommes. Ah ! Si seulement il avait préféré ce jour-là s’acheter un hamburger plutôt qu’une boîte de cartouches. Cet évènement l’a à ce point traumatisé qu’il devient véritablement obsédé par tout ce qui touche aux hamburgers et qu’il va alors se mettre dans la tête l’idée d’aller interviewer des bouchers, des cuisiniers et de lire de nombreux ouvrages sur le sujet pour récolter le plus d’informations possibles.
Ce que j’ai aimé dans ce court récit, c’est l’écriture très fluide et d’une simplicité enfantine. Je me suis demandée d’ailleurs pendant longtemps si c’était un enfant qui s’exprimait ou un adulte. Je me suis également demandée si cette histoire n’était pas celle de Richard Brautigan car lui aussi est né en 1935 et a eu semble-t-il une enfance assez troublée dont on ne sait finalement presque rien. A la fois sensible, poétique, ce texte ne peut donc que toucher. Ce côté minimaliste, cette façon de raconter les choses innocemment, « l’air de rien » voire presque avec insouciance cachent en effet des souvenirs au goût plutôt tragique et amer. Le héros de l’histoire est très tôt confronté à la mort et notamment celle d’enfants sans compter cette existence de pauvres que sa mère et lui doivent mener. Mais heureusement qu’il y a aussi des passages moins tristes, moins douloureux comme cette quête effrénée sur le hamburger ou ce couple bizarre où là, on est vraiment obligé de sourire tellement on frôle le surréalisme et l’absurde. Marlène EVEN

jeudi 12 juillet 2007

Grande avenue de Joy Fielding

Elles sont quatre jeunes femmes, de jeunes mamans, mariées, habitant Grande Avenue. Elles se sont rencontrées dans un jardin d'enfants, et sont immédiatement devenues amies. Il y a Chris, jeune femme timide battue et humiliée par son mari qui tente de cacher sa situation à ses amies ; Susan, complexée par son poids, qui a repris ses études ; Vicky, avocate ambitieuse et sans scrupule, mariée à un homme plus âgé qu'elle, qu'elle trompe allègrement; et Barbara, ex miss obsédée par son physique, qui ferme les yeux sur les infidélités de son époux. Pendant vingt ans, elles vont tout partager : joies, peines, confidences, déceptions. Malgré les différentes orientations que prendront leurs vies, elles resteront très liées, jusqu'à ce que tout bascule. Un évènement tragique aura des conséquences irrémédiables, et la rupture sera définitive après ce qui sera vécu comme la trahison de l'une des quatre... L'écriture fluide, à la troisième personne, donne un roman facile et rapide à lire. L'alternance de passages narratifs, de dialogues et d'introspections en rend la lecture agréable. Le livre s'ouvre sur un prologue dont l'une des héroïnes est la narratrice. Dès le début, elle nous dévoile le dénouement : la mort d'une des amies, et la trahison d'une autre. Reste à deviner leur identité... L'intrigue réservant tout de même une grosse surprise ! Mais ce n'est pas tant l'issue de l'histoire qui est intéressante que son déroulement. Le point fort du roman tient à l'épaisseur des personnages féminins, dont la psychologie est très fouillée. Leurs choix, leurs motivations, leurs doutes, leurs ambiguïtés, comment chacune masque à sa façon ses fragilités... Tout cela est très bien montré. Au final, j'ai beaucoup aimé ce livre, et je me suis attachée aux personnages. Je m'attendais à une histoire plus légère, plus proche de la série "Sex & The City", mais je n'ai pas été déçue pour autant. Les héroïnes réservent chacune bien des surprises, et sont toujours plus complexes que ce que l'on pensait. Dans ce roman, on peut dire qu'on ne connaît jamais vraiment les gens, et il faut se méfier des apparences comme des préjugés. Fanny LOMBARD

mercredi 11 juillet 2007

La France de 1939 à nos jours de David Claude

« Approfondissez l'Histoire de la France depuis 1939 » tel est le leitmotiv de ce livre. Vous n'êtes pas obligé de le lire dès la première page. En effet, si vous souhaitez des précisions sur des sujets qui vous intéressent plus particulièrement, pas de problèmes : consultez la table des matières ... C'est ainsi que vous redécouvrirez le drame de Mers El Kébir de façon très stricte, mais aussi les grandes questions de la Résistance. D'autres sujets sont abordés : Vichy, les nationalisations, la 4 CV, Mai 58, le départ du Général de Gaulle. Ce livre ne se contente pas d'énumérer les faits historiques. Au contraire, il pose les questions adéquates, apporte des renseignements complémentaires, des commentaires de spécialistes. Ainsi vous trouverez page 113 la phrase ambiguë mais réaliste "Après s'être crus tous des résistants, les Français redoutent de se découvrir tous des fascistes." N'est ce pas exactement ce qui se passe ???. Bref de quoi réjouir les historiens, les étudiants qui souhaitent revoir des points particuliers, mais aussi nous autres qui nous questionnons sur notre société. Ce livre n'est pas rédigé par un seul auteur, mais par plusieurs spécialistes. Certes la collection "Points" est réputée pour ne pas être un "livre de chevet". C'est plutôt un livre d'approfondissement à consulter régulièrement dans son bureau. Mais il s'agit d'un ouvrage à lire et à relire... Christine BELLOT

mardi 10 juillet 2007

La retraite sentimentale de Colette

C'est le premier roman que je lis de l'oeuvre immense de Colette et cela a été pour moi une révélation. J'ai longtemps hésité à en faire un commentaire car il ne me semble pas facile d'en parler. On a dit beaucoup de choses sur Colette dont la réputation de femme libertine pour les uns, libre pour les autres, a longtemps chagriné les nostalgiques du machisme du siècle dernier. Les premières lignes de ce roman m'ont agressée. J'étais si peu habituée à ce genre de langage qu'il m'a fallu un peu de temps pour m'y faire. Le moins que l'on puisse dire c'est que Colette est directe, dérangeante presque par moments. Elle va droit au but et touche là où ça fait mal. Mais elle le fait avec des mots d'une poésie si délicate que l'on tombe sous le charme. Grace à la finesse et la justesse des situations ou des sentiments complexes qu'elle évoque, Colette dans ce roman surmonte aisément la difficulté d'à la fois prôner la fidélité inconditionnelle à l'être aimé et l'appétit légitime des femmes pour l'acte d'amour gratuit. L'héroïne Claudine qui relate les faits à la première personne traduit l'idéalisation de l'Autre dans l'éloignement, et son amie Annie, être vulnérable parce que culpabilisé, l'appel irrésistible du plaisir déconnecté du moindre sentiment amoureux. On comprend alors aisément que Colette ait été perçue comme un écrivain sulfureux à son époque même si à aucun moment n'effleure la moindre vulgarité dans son propos bien au contraire. Les mots sont effleurés, les phrases suspendues, le reste nous appartient. Le style de Colette est unique. Elle s'exprime au présent. Chaque mot frappe avec une infinie précision l'idée qu'il veut exprimer, surtout quand il est associé à un adjectif qui, paradoxalement en contredit le sens. C'est d'une force magistrale. Le regard aiguisé qu'elle porte sur les êtres et le ton souvent caustique qu'elle emploie pour les faire vivre apparaissent avec de plus en plus d'évidence comme le meilleur moyen pour elle de ne pas tomber dans le piège de la tendresse qui l'étouffe. Claudine ou plutôt Colette est un monument de sensibilité et d'amour qui dans les dernières pages du roman nous bouleverse. Elle est un écrivain incomparable et intense. Florence TOUZET

lundi 9 juillet 2007

Suzanne de Denis Belloc

Au fil d’un album photo que l’on feuillette en même temps qu’elle, Suzanne revoit défiler sa vie de misère dans une banlieue ouvrière de La Rochelle. D’abord son enfance en temps de guerre entre un père souvent absent et une mère aimant trop les bals et les hommes. Ensuite sa vie de jeune femme avec son Lulu qui l’aime et qu’elle aime malgré la pauvreté, l’alcool, la violence … Cette histoire est un bel hommage à une femme qui a su faire preuve d’un grand courage dans sa vie pour supporter les épreuves qu’elle a subies. Dès son plus jeune âge confrontée à la maladie, à la pauvreté, à la méchanceté des autres devant les différences qu’elles soient sociales ou physiques, puis aux difficultés des temps de guerre, la petite Suzanne ne prend pas un bon départ dans la vie. Mais malgré les circonstances, elle garde néanmoins assez de naïveté pour croire que l’amour peut tout arranger même l’alcoolisme invétéré et tous ses débordements : violence, dégradation physique, souillure, chômage, misère…Parce qu’il faut préciser que quand elle épouse Lulu, c’est en toute connaissance de cause : elle sait qu’il boit , ses parents près desquels ils vont vivre aussi …la question du rôle primordial que joue la famille dans l’engrenage de l’alcoolisme est ainsi soulevée, de même que les conditions de vie de ces ouvriers ou pêcheurs pour qui l’alcool était la seule façon d’oublier et de supporter les conditions de travail, de logement et de vie tout simplement...En toile de fond nous avons le rêve de Lulu d’être un grand boxeur mais qui sera brisé dans sa vingt cinquième année…Et le plus terrible, cette indifférence de la part des voisins, des parents, Suzanne devant tout assumer seule… Miroir d’une société d’après guerre et de ses difficultés, c’est un tableau bien noir qui nous est dressé. Avec des phrases courtes, percutantes, des mots simples l’auteur a su créer une composition originale de par sa construction. Quelques photos jaunies sont décrites, puis l’histoire de Suzanne et parfois en italique c’est la voix de Suzanne elle-même, avec son parlé populaire, qui éclaire un détail ou un sentiment. Au début j’avoue que j’ai eu un peu de mal à me faire à ce système, mais finalement je dois reconnaître que cela donne un accent de vérité et même de confession à ce récit. Mais mieux vaut avoir un bon moral avant d’entamer la lecture de ce livre, parce que les faits nous sont assénés bruts, sans embellissements et surtout nous laissent un sentiment de tristesse terrible … Nicole VOUGNY

vendredi 6 juillet 2007

Dune de Herbert Frank

Premier volet d'une belle série, Dune inaugure l'expression d'une richesse et d'une profondeur imaginaire déployée par Franck Herbert. Avec un style d'écriture très riche, il nous dépeint un monde complet où l'humanité se projette dans l'univers, lutte et déjoue les machinations des puissants qui se droguent à l'épice, Panacée de l'Empire intersidéral. Le héro, Paul Atreides va entreprendre notre initiation à cet univers. Il est le fils du Duc Leto des Atréides et de Dame Jessica, femme issue Bene Gesserit, guilde entièrement féminine titulaire de visées politiques et spirituelles teintées de science. Né du désir amoureux du couple, et à l'encontre des ordres de la guilde, peut être serait-il ce personnage mythique, apparaissant dans les prophéties du Bene Guesserit. Ce Kwisatz Haderach qui peut voir où elles ne le peuvent et, bien qu'homme, avoir accès également aux mémoires des ancêtres féminins... Il viendra en tout cas d'une planète humide, découvrir celle, sèche d'Arrakis, haut lieu d'intrigues puisque source de l'épice: instrument de la puissance de l'humanité libérée grâce à elle des machines pensantes et robots. Ce lieu peuplé de Fremens, natifs du désert d'Arrakis, marquera de son empreinte Paul Atréides et peut-être également l'avenir de l'Empire tout entier. Grâce à l'alternance des lieux et points de vue de ses personnages, de chapitres en chapitres, Franck Herbert nous permet de découvrir intimement la psychologie des individus et saisir la complexité d'un univers que je trouve formidable. Tout au long du roman, l'attention reste stimulée et ne fait que croître à chaque nouveau chapitre, grâce à des doses de suspense savamment distillées. Au sortir de sa lecture, la seule envie est de se mettre le 2ème volume sous la dent. Emilie MOINEAU

jeudi 5 juillet 2007

Des morts à la criée d'Ed Dee

Du roman noir comme je les aime…Sur les quais de l’East River, par un petit matin brumeux de décembre, les inspecteurs Joe Gregory et Anthony Ryan sont en planque. Chargés par la Brigade de répression du crime organisé de piéger Bobo Rizzo, le capo de la Mafia qui tient sous sa coupe "la criée", le célèbre marché aux poissons de Fulton Street, ils patientent à grands renforts de tasses de café. Sorti se dégourdir les jambes, Joe Gregory remarque alors trois individus en train d'immerger un gros tonneau blanc dans l'eau du port. Persuadé que le récipient contient un cadavre et qu’il tient là l’affaire de sa vie, Joe convainc Ryan d’alerter les plongeurs de l’équipe du sergent Vince Salvatore. Difficile d’y voir quelque chose dans les eaux sales de New York ! Au lieu de retrouver le baril blanc, les hommes de Salvatore remontent une poubelle rouillée qui, surprise, contient un squelette tenant entre les dents un écusson de la police de New York. Il s'agit de Jinx Mulgrew, un flic disparu dix ans plus tôt et dont la réputation de ripoux était célèbre dans tout le Bronx … Pour Joe et Anthony, c’est sûr, c’est la Mafia de l’époque qui est derrière ce meurtre. Pour le prouver, leur chef leur accorde un délai de trois mois. Mais voilà, très vite, les deux inspecteurs découvrent, en remuant le passé corrompu de Mulgrew, que la frontière entre flics et truands est bien moins grande qu’il n’y paraît. Tout est pourri au royaume des flics du Bronx. Nul n’est épargné par Ed Dee, ancien inspecteur de police à New York lui-même : les ripoux côtoient les balances, les mafieux font chanter les faisans… Même ses deux héros sont loin d’être irréprochables ! Joe Gregory, l’irascible Irlandais en quête de gloire, et Anthony Ryan, le policier réfléchi et amer, les deux enquêteurs, nous entraînent ainsi dans une ballade new-yorkaise des années 80. Nous découvrons le monde étonnant des halles à poissons de Fulton aujourd’hui disparu. Avec eux, nous dînons dans les restaurants tenus par la Mafia, nous nous enivrons dans les bars à policiers jusqu’à l’heure de la fermeture, nous passons des heures en planque avec une gueule de bois tenace... Ensemble, nous ressentons leurs émotions lorsqu’un collègue se fait descendre ! Bien sûr, je pense qu’on est encore loin d’un Ed McBain ou d’un Michael Connelly, le récit pêchant parfois par quelques lourdeurs et par de nombreuses répétitions. Mais ce que j’apprécie surtout avec Ed Dee, c’est la foule d'anecdotes sur les us et coutumes des flics de New York de cette époque où corruption et argent sale faisaient souvent ménage avec bravoure et sacrifice !... Mais est-on vraiment sûr que cette époque soit révolue ? Pierre LUCAS

mercredi 4 juillet 2007

Le maître du jugement dernier de Leo Perutz

Russie, 1909. Quel peut bien être le point commun entre Eugène Bischoff, acteur de son état, un jeune peintre qui étudie dans une bibliothèque, Valdémar Solgrub, ingénieur (ancien officier de l'armée russe) et une pharmacienne ? En effet, tous sont sains d'esprit, sont en bonne santé, et pourtant ... ils se suicident !!! Encore plus étrange : tous se donnent la mort dans des lieux clos et donc sans aucun témoin. Telle est donc l'intrigue de ce roman. Roman particulier d'ailleurs, puisque celui-ci commence par la fin... sans pour autant nous donner la solution de l'énigme. L'histoire débute lorsque des musiciens se donnent rendez-vous pour jouer des morceaux de Brahms, Beethoven et Schubert. Le trio est composé du docteur Gorski, du baron von Yosch (le narrateur amoureux de Dina) et de Dina elle-même, pianiste et femme d'Eugène Bischoff. Son époux est d'ailleurs le premier de la série de suicides. Le hic, c'est que certaines personnes pensent que ce dernier ne s'est pas suicidé mais qu'il a été assassiné... par le baron von Yosh ! Celui-ci va donc mener sa propre enquête afin de prouver son innocence. Rapidement mis hors de cause, il va être confronté, ainsi que ses amis, à un enchaînement de suicides inexpliqués... jusqu'au dernier qui nous livrera la clé du mystère : qu'est-ce qui peut bien pousser autant de personnages à se suicider ? Et si la solution ne se trouvait pas là où on l'attend ? Quelle est donc cette lueur rouge "stridente comme l'éclat d'une trompette" ? Léo Pérutz, écrivain autrichien, nous offre un roman palpitant où le suspense est omniprésent. Le style est très agréable, bien qu'un peu déroutant au départ, car l'auteur passe d'un personnage à l'autre très rapidement pour mieux faire vivre son oeuvre, et le vocabulaire est riche. Les analyses psychologiques, en particulier celles des phénomènes mentaux que subit le protagoniste sont fascinantes et on a vraiment l'impression de faire partie de l'histoire. Le dénouement est inattendu et très subtil, avec une pointe de philosophie très juste et savamment glissée dans le récit. Un bon roman fantastique, inventif et original, du premier quart du XXe siècle. Laurent ENGLE

mardi 3 juillet 2007

Le désosseur de Jeffrey Deaver

Suite à un appel téléphonique anonyme, Amélia Sach jeune agent de police, trouve au bord d’une voie ferrée un cadavre enterré dont seule une main, avec l’annulaire taillé comme un crayon, sort de terre. Lincoln Rhyme, criminologue très célèbre, paralysé suite à un accident pendant une enquête est demandé pour aider la police. Rhymes est une personne sarcastique, ironique, qui ne tient pas du tout à la vie mais qui possède un pouvoir de déduction sans limites. S’engage une course poursuite entre l’assassin et le criminologue qui essaie de le confondre. L’enquête est magnifiquement orchestrée par ce profiler qui, du fond de son lit, fait preuve d’une intelligence et d’une perspicacité aiguës et nous donne d’excellents cours de médecine légale. Le style de Deaver est trépidant, avec des séquences très courtes qui font défiler les actions en nous tenant en haleine. Il utilise dans la narration un mélange de la 3ème et de la 1ère personne dont il se sert pour exprimer les pensées et les peurs des personnages ce qui rend le récit encore plus terrifiant. D’autre part, il décrit très bien le quotidien d’un paralysé, les souffrances à l’hôpital après la blessure, les horreurs de la quadriplégie, la douleur virtuelle aux extrémités, même quand on sait qu’on est privé de sensations. Rhymes veut mettre fin à toute cette souffrance et pour s’aider, il convoque un médecin d’une association pro-euthanasie, mais celle-ci ne se présente en aucun moment comme un cas d’éthique mais comme une réflexion sur le droit de mourir lorsque le malade le désire. J’ai beaucoup aimé ce livre car outre l’intrigue passionnante qui nous maintient accrochés jusqu’à la dernière page, et même si le voile de la mort plane sur le protagoniste, les efforts physiques et psychologiques pour sauver les autres sont tels que finalement le récit devient un chant à la vie. Marie LEVEZIEL

lundi 2 juillet 2007

La tibétaine de Michel Peissel

A la fois roman et récit historique, La tibétaine nous transporte presque soixante ans en arrière, à la fin de la colonie anglaise en Inde et à la fin du Tibet « libre ». Commençant par un récit à la première personne, l’auteur nous donne très vite envie de faire la connaissance de cette héroïne qui à travers son histoire va nous faire vivre les difficiles années de l’histoire tibétaine, histoire qui malheureusement n’a pas évolué depuis. Au début du livre, on s’immerge dans la vie facile de la communauté anglaise en Inde. On s’imagine très bien les plantations, les palais, les réceptions chez le Maharadja et l’arrivée d’Ariel dans ce pays après deux ans passés dans un orphelinat anglais. Le décor est à peine planté que tout bascule après l’enlèvement d’Ariel par le beau Tibétain qu’elle connaît à peine mais qu’elle est prête à aimer jusqu’à ce que les corneilles soient blanches. En Inde la situation se dégrade, les Anglais sont priés de rejoindre leur île et petit à petit les Chinois s’imposent. Très vite Ariel s’investit dans la guerre qui va opposer le peuple tibétain aux forces chinoises. Sacrifiant sa vie de femme et de mère, bravant la mort, elle va se battre de nombreuses années, en vain. La tibétaine est un beau roman d’amour : Amour non dit d’un père envers sa fille à qui il n’a jamais avoué sa filiation, amour de cet homme avec la seule vraie amie qu’il n’ait jamais eu, amour d’Ariel pour cet inconnu tibétain avec qui elle s’enfuit et enfin amour de cette même femme pour un pays qui fait partie de ces racines et pour lequel elle va se battre pendant des années. C’est aussi un roman historique qui nous fait revivre les derniers temps de la présence des anglais en Inde, les débuts de l’invasion en douceur du Tibet par la Chine, l’intensification et l’aboutissement de cette invasion, l’immobilisme de la communauté internationale qui encore ne semble pas se préoccuper de l’avenir de cette nation à qui l’on fait perdre peu à peu toute son identité. A travers son récit, on ressent combien l’auteur semble aimer ce pays et son peuple. Par ses descriptions des paysages, de la vie là-bas, il nous donne l’envie de nous renseigner sur la situation actuelle du pays, d’en connaître plus sur son peuple et sur son représentant le plus célèbre, le Dalaï lama. Frédérique CAMPS

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