jeudi 27 août 2009

L'affaire Kustermann de Roberto Ampuero

Voilà quatre mois que Cristian Kustermann, fils d'une richissime famille germano-chilienne de droite, a été abattu, dans la pizzeria de Renaca dont il était propriétaire depuis son retour d'Allemagne, quelques années auparavant. Si la police a privilégié la thèse d'un braquage ayant mal tourné, aucun suspect n'a été arrêté. Son père demande alors à Cayetano Brulé, détective privé cubain exilé au Chili, de reprendre l'enquête. Très vite, celui-ci comprend que la victime a été exécutée. Ecartant la thèse de la police, il suit celle d'une vengeance, d'un règlement de compte entre trafiquants de drogue... avant d'apprendre que le jeune homme avait bénéficié, pour son retour au Chili, du programme de protection des opposants d'extrême-gauche. Plus étrange encore : il avait apparemment passé plusieurs années hors d'Allemagne, sans que personne ne sache où il était. Brulé doit donc remonter la piste depuis Bonn pour retrouver la trace de cet homme dont il est bien difficile de cerner les idées politiques... Et l'enquête s'annonce plus délicate et complexe que prévu. Ce roman se lit rapidement : le style est fluide, la langue simple mais agréable, et l'alternance entre récit et dialogues rend l'écriture vivante. C'est une investigation classique : le détective interroge les témoins, déroule les fils de l'enquête, active ses réseaux d'informateurs... Mais la particularité de ce roman tient au cadre - entre Chili, Allemagne et Cuba - et aux thèmes que cela permet d'aborder, qu'il s'agisse du poids des extrémismes politiques, de la lutte des classes, des mouvements révolutionnaires, de l'exil, de l'identité latino-américaine... Sans oublier les personnages, tous bien campés mais éclipsés par le sympathique Cayétano Brulé, détective haut en couleurs, plutôt pauvre mais d'une certaine classe, plein de malice, qui résout ses enquêtes avec tact, intelligence et un grand sens moral. Fidèle lectrice des enquêtes de Cayétano Brulé, je me suis régalée avec ce premier roman mettant en scène le détective. Ce n'est cependant pas le meilleur à mon avis, et certains passages auraient mérité d'être développés. Néanmoins, si l'intrigue est un peu légère, les thèmes sous-tendant le récit, pour délicats et sensibles qu'ils soient, sont abordés avec finesse par l'auteur, qui ne tombe jamais dans le prosélytisme. S'il affirme ses opinions, il permet surtout d'entrevoir en arrière-plan une réalité sociale et politique certes simplifiée, mais pas pour autant simpliste, et donc plus compréhensible. C'est un aspect que j'ai trouvé très intéressant, et ce dans tous les romans de la série. Fanny LOMBARD

mardi 25 août 2009

Le voyage du père de Bernard Clavel

L’histoire se passe au début des années 60. Nous sommes en hiver, perdus dans un petit hameau du Jura. Le père, Quantin, la mère, Isabelle, et leur fille, Denise, préparent les fêtes de Noël en attendant fébrilement Marie-Louise, l’aînée qui est montée à Lyon depuis quelques années pour se faire une situation dans le monde de la coiffure. Isabelle est admirative face à l’ambition de sa fille aînée et de son désir de ne pas rester prisonnière d’une vie qu’elle juge médiocre, au pays. Denise attend cette sœur prodige avec l’impatience d’une petite fille qui espère rencontrer une princesse de conte de fées. Même l’instituteur du village se languit de la visite de sa bien aimée. Quantin, lui, attend sa fille sereinement avec l’assurance tranquille du paysan maître de ses terres, de ses bêtes, en harmonie avec le temps qui passe, imperméable aux accès de mauvaise humeur de sa femme, sensible à la simplicité de Denise et complice des sentiments de l’instituteur. Cette quiétude est brutalement mise à terre par l’arrivée d’un courrier provenant de Lyon. Marie-Louise ne peut pas venir pour les fêtes, son emploi la retient en ville. Toutes les frustrations semblent alors éclater. La panique et l’amertume s’empare des personnages, Isabelle somme Quantin d’aller chercher Marie-Louise et de la ramener à la maison pour les fêtes. Le père entame alors un voyage qui lui ôtera tous ses repères, toute la maîtrise qu’il pensait avoir sur sa vie et celle des siens, ses certitudes réduites à néant. On pourrait presque voir dans ce roman l’antagonisme entre la nature et la culture. Clavel nous embarque dans une errance. Ici, la quête d’un père pour retrouver sa fille devient une descente aux enfers au fur et à mesure que l’on avance dans le roman. Clavel met de la force dans le personnage de Quantin qui reste debout pour aller jusqu’au bout tout en sachant préserver les siens. Il affronte seul les manques qu’il a eu en tant que père. Les descriptions de Clavel sont nettes, précises, colorées. Ce grand voyageur sait de quoi il parle, il s’attache à décrire les lieux parce qu’il les connaît, il s’attache également à décrire les personnages, leur façon d’être, leur peur, parce qu’il semble les connaître aussi. Christine BENASSAYA

jeudi 20 août 2009

Le long crépuscule de Keith J. Laumer

Une nouvelle centrale expérimentale de télétransmission d’énergie vient d’être lancée. Parallèlement, une gigantesque tornade défiant toutes les données météorologiques connues se forme au dessus de l’océan. Mais personne ne fait le lien immédiatement. Personne, hormis deux « hommes » singuliers. Deux extra-terrestres coincés sur Terre depuis douze siècles, deux frères d’arme devenus ennemis mortels qui se sont opposés régulièrement au fil des âges et vont le faire une nouvelle fois... Voilà un livre très prenant. L’auteur ne nous décrit jamais les sentiments des personnages, mais bien que pour leur entourage ils semblent des hommes froids et mystérieux, on s’attache tout de suite à eux et on les comprend. Physiquement, ce sont des surhommes, immortels et dotés d’une grande force physique, mais tous deux s’attachent à ne jamais blesser le peuple de leur terre d’adoption, s’attirant la loyauté de ceux qui les côtoient. Le livre alterne les passages relatant les péripéties des deux personnages avec des flash-back du passé. Grayle/Thor, emprisonné dans un pénitencier fédéral depuis la Guerre de Sécession, décide soudain de s’évader et sera poursuivi par les autorités. Falconer/Loki, vieil homme fatigué, retrouve soudain une nouvelle jeunesse et se lance dans un voyage au Nord, empruntant des routes voisines de celles de son ancien compatriote. On devine bien vite l’existence d’un troisième paramètre dans l’équation, mais celui-ci ne sera révélé que lors du final, où va se jouer le sort de la Terre et où les énigmes seront résolues. En attendant, pour nous tenir en haleine, l’auteur nous dilue à petite dose les éléments permettant de comprendre comment les deux extra-terrestres sont devenus ennemis et comment ils ont vécu et se sont affrontés depuis leur arrivée sur la Terre. Le livre ne manque pas d’action : Les voyages des deux hommes ne seront pas de tout repos. Mais ce qui est surtout intéressant, c’est de découvrir comment on est arrivés dans cette situation et comment elle va enfin être résolue, ce qui va advenir des deux hommes engagés dans une lutte éternelle qui semble leur peser autant à tous deux, car ils étaient amis autrefois. L’atmosphère est prenante, la catastrophe étant imminente. Le style est fluide et les événements s’enchaînent parfaitement, nous entraînant avec eux vers une fin très belle. Un sans faute ! Marie-Soleil WIENIN

mercredi 19 août 2009

Le pavillon d'or de Yukio Mishima

Mizoguchi, bègue, vit chez son oncle à Yasuoka pour des raisons scolaires. A l’école son bégaiement lui vaut d’être la raillerie des autres. Son père est bonze dans un temple dont il dispose les droits. Sentant son mal de poitrine faire des progrès effrayants, le père décide d’emmener Mizoguchi dans la région de Kyoto pour visiter un temple du 14ème siècle, le Pavillon d’Or, et d’autre part le présenter à son ami le Prieur Tayama Dôsen. A brûle pour point, Mizoguchi est déçu par le temple car d’après les descriptions faites jadis il s’attendait à plus de beauté. Par contre Dôsen promet de s’occuper de Mizoguchi au décès de son père. De retour à Yasuoka deux événements vont survenir dans la vie de Mizoguchi. Primo,il comprend que la beauté Pavillon d’Or est visible quant il est considéré dans son ensemble et, secundo son père meurt d’une hémorragie. Selon les dernières volontés de son père, Mizoguchi entre comme novice au temple du Pavillon d’Or. Durant cette période, il se fera un ami : Tsurukawa qui ne se moque pas de son défaut de prononciation. Mizoguchi voit se développer en lui beaucoup d’interrogations sur la beauté et assiste au Temple à une scène étrange entre un jeune officier et une belle jeune femme. Quand sa mère lui annonce qu’elle a tout vendu même les droits du Temple de son père, Mizoguchi n’a plus qu’un objectif devenir Prieur du Pavillon d’Or. En d’autres terme devenir le successeur Prieur Tayama Dôsen. En 1947, Mizoguchi rentre à l’Université et se lie d’amitié avec Kashiwagi qui a les pieds bots. Chemin faisant, Tsurukawa décède, la belle jeune femme du Temple réapparaît, le Prieur traîne avec une geisha et tout cela amène Mizoguchi à se poser des questions sur la vie du Temple et sur son utilité, sur la beauté des choses et des êtres. Jai énormément apprécié les descriptions simples et réalistes de la campagne japonaise, de la forêt et de la mer. Les us et coutumes de la cérémonie religieuse de l’enterrement sont des découvertes intéressantes pour qui comme moi ne les connaît pas. Les passages dédiés au Pavillon d’Or, lieu central du livre y sont saisissants. Le Pavillon d’Or y est décrit dans les moindres détails, à différentes saisons, de nuit comme de jour, avec des touristes mais aussi dans son côté le plus tranquille. J’ai trouvé parfois que tant de détails alourdissaient le livre. J’ai beaucoup aimé les expressions « oubli dans le sommeil », « ouverture de la règle », « session du gruau de riz » et d’autres encore qui correspondent toutes à un moment de la journée du moine. Un paradoxe saute aux yeux du lecteur, ce livre évoque beaucoup la beauté au travers de l’architecture, de la musique, des fleurs alors que l’auteur a voulu que deux des principaux personnages ne soient pas beaux et atteints de problème (bégaiement pour l’un et pieds bots pour l’autre). A méditer également les deux petits passages sur le comportement imbécile des Américains pendant leur occupation du Japon. Edouard RODRIGUEZ

lundi 17 août 2009

Garce d'étoile. Sur les chemins de Compostelle de Hervé Bellec

Dans ce récit, Hervé Bellec nous invite à le suivre sur le chemin de Compostelle, au départ de Brest. Il quitte ainsi, par un beau matin d’août, son bar de la place Guérin, pour ce rite initiatique. Sans trop savoir pourquoi… Avec pour compagnons son bâton de pèlerin, en orme de l’Aber Wrac’h, s’il vous plaît, sculpté par son copain Marcel, son short en jean et ses baskets sur coussin d’air. Il va nous livrer en toute sincérité un fabuleux journal de bord retraçant ses pérégrinations le long de la côte atlantique, puis à travers les Pyrénées et le nord de l’Espagne. Au programme, rencontres hétéroclites, endroits fantastiques, idées noires et pensées joyeuses. Un jour le moral est dans les baskets, qui n’ont plus leur éclat du premier jour, le lendemain il frôle la transe. Toute la gamme des émotions va y passer. Pour notre plus grand bonheur. Hervé Bellec est un poète moderne. À la fois naïf et tranchant, terriblement drôle et profondément émouvant, pétri d’autodérision, son style ne laisse pas indifférent. Cet auteur viscéralement attaché à sa terre, à ses racines, aime la Bretagne, et la raconte si bien. Celle de son enfance près de Rostrenen, celle de sa jeunesse dans les années 70, celle des réalités des années 80. On se délecte de ses expressions typiques des lieux et des époques. Véritable puits de savoir, il ponctue ses récits d’anecdotes truculentes. Et il s’intéresse à l’humanité, ainsi qu’à ses travers, qu’il souligne avec un réalisme bouleversant. Bien plus profond qu’un simple récit de voyage, cet ouvrage est un vrai régal, que je ne saurais que conseiller aux amateurs de découverte, d’émotion, d’humour, de Bretagne, et à tous les autres ! Delphine HAMON

lundi 10 août 2009

La pêche à la truite en Amérique de Richard Brautigan

La pêche de la truite en Amérique ne ressemble à aucun autre livre. Il est étrange, farfelu, déconcertant. Ni cannes, ni moulinets, ni asticots, il n’est pas question ici des usages et pratiques de l’art de la pêche, ni en Amérique ni ailleurs. Cet ouvrage se définit d’abord facilement par ce qu’il n’est pas. Composé d’une cinquantaine de textes courts, il ressemble à un recueil de textes en prose ou de nouvelles. On ne saurait trancher. Aucune logique habituelle, aucun schéma narratif usuel ne semble le gouverner. Rien n’est fait pour apaiser un lecteur trop pressé d’étiqueter l’ouvrage. Pourtant la magie opère instantanément. Le lecteur est emporté par le style naïf, sans aucune complexité, sans esbroufe, d’où naît une poésie à nulle autre pareille. L’écriture est basée sur la simplicité : des phrases courtes, des dialogues de la vie de tous les jours retranscrits tels quels. L’œuvre est pourtant déconcertante, tellement éloignée du sens commun et de la raison usuelle. Richard Brautigan est maître de la métaphore incongrue et des comparaisons désarçonnantes. Au gré de son humeur, il brinquebale avec lui le lecteur dans les bars ou sur la route, au pied des statues ou dans un magasin de bricolage. Son capharnaüm artistique est plein d’histoires abracadabrantes, d’amour, de douleur et de tendresse, de solitude ou plus simplement d’anecdotes de la vie courante. Avec Sucre de pastèque, le lecteur croit se retrouver en pays connu. Il y a bel et bien une histoire, un début et une fin, un déroulement. Mais là aussi, Richard Brautigan mène la danse pour notre plus grand plaisir. La fantaisie est au rendez-vous. Jacky GLOGUEN
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lundi 3 août 2009

Moi, Charlotte Simmons de Tom Wolfe

Charlotte Simmons est une célébrité dans sa ville de Sparta en Caroline du Nord. Ses exceptionnelles capacités intellectuelles lui permettent en effet d’intégrer la prestigieuse université Dupont. Elle va enfin pouvoir s’adonner à sa passion des études sans honte. Enfin c’est du moins ce qu’elle croit. Parce qu’elle va vite s’apercevoir que dans cette université l’alcool, le sexe et les fêtes ont une place bien plus importante dans l’esprit des étudiants que les études. Pas facile d’être différent et surtout de l’assumer. Même pour une jeune fille aussi volontaire et déterminée que Charlotte Simmons! Dès son arrivée à l’université, elle constate qu’elle dénote complètement des autres étudiants de par ses origines provinciales (elle vient d’un coin perdu dans les montagnes), son milieu social (modeste voire pauvre) et sa conception de la vie (elle est complètement innocente des choses du sexe et ne peut admettre que l’on puisse se laisser aller à boire de l’alcool au point de ne plus savoir ce que l’on fait). Du coup, elle se retrouve seule et a beaucoup de mal à l’accepter. Pourtant quelques étudiants sont comme elle mais leur amitié ne lui suffit pas : il lui faut la reconnaissance des gens « cool » qui sont « la référence » du campus. Il va sans dire qu’elle rêve aussi de clouer le bec à ceux qui se moquent d’elle, persuadée qu’elle est de pouvoir être acceptée malgré sa différence. Alors quand l’occasion se présente, peut-elle vraiment résister ? Mais n’est ce pas un peu jouer avec le feu? Même si les faits racontés peuvent paraître parfois un peu caricaturaux, cette envie de se fondre dans la masse est très réaliste, mais le constat est effrayant : un individu brillant a vite fait de devenir quelconque. Et tout cela pour que le regard des autres change et qu’il soit reconnu socialement…Cela mérite réflexion… En tout cas le personnage de Charlotte ne nous laisse pas indifférent, nous touchant mais aussi nous agaçant par sa naïveté, son orgueil mal placé. Avec beaucoup de talent l’auteur s’est attaché à nous faire partager les pensées intimes des autres personnes qui gravitent autour d’elle nous permettant ainsi de mieux comprendre leur comportement, ce que j’ai trouvé très intéressant et instructif. Nous avons ainsi un aperçu non seulement des sentiments de différents types d’étudiants mais aussi du système universitaire dans son ensemble avec ses excès, ses préjugés, ses dangers et les conséquences de tout cela sur l’avenir de chacun. Grâce à un style fluide, y compris dans les passages où l’auteur s’amuse à nous parler « patois fuck » (quand on pense qu’il a plus de soixante quinze ans !), on se laisse emporter par ce roman de plus de mille pages sans même s’en rendre compte. En conclusion, je me suis régalée de cette peinture au vitriol de la société américaine au ton acide et un tantinet provocateur. Nicole Vougny

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