mardi 10 juin 2008

Nouvelles exemplaires de Miguel De Cervantès

Cet opus comprend 4 nouvelles. /Rinconète et Cortadillo/ : Deux jeunes hommes de 15 et 17 ans vivent d'expédients et cheminent tous deux vers l'Andalousie. A Séville ils intègrent les grandes écoles du banditisme sans perdre trop de temps dans les classes préparatoires. Ils se retrouvent cooptés par Monipodio le supérieur de la truanderie de Séville. Le tout est agrémenté de quelques anecdotes cocasses.
/Le jaloux d'Estrémadoure/ : C'est l'histoire de Felipe, revenu d'Amérique du Sud en Espagne, fortune faite. Il se résout à se marier - bien que d'un naturel très jaloux et déjà d'un âge avancé - à une toute jeune fille et la claquemure. Un jeune homme oisif, Loaissa, s'étonne de tant d'efforts pour préserver une épouse et veut déflorer le mystère /L'illustre servante/ : La très belle Costanza est servante dans une auberge. Après la révélation d'erreurs de jeunesse d'un gentilhomme qui se serait mal conduit avec une jeune noble demoiselle, il apprend que Costanza est la fille de cette demoiselle contrainte de la mettre au monde au cours d'un voyage dans une triste auberge où elle trouva la mort. /Le mariage trompeur suivi du colloque des chiens/ : Au sortir de l'hôpital, le seigneur enseigne Campuzano devise avec le seigneur licencié Peralta. Le premier apprend au second comment il se fit accroire par une femme qui voulait l'épouser en se faisant passer pour riche. Dans la foulée il lui conte les dialogues de deux chiens qu'il aurait entendus deviser au seuil de l'hôpital : Scipion et Berganza. Miguel de Cervantes y Saavedra est bien connu pour avoir écrit « Les aventures de Don Quichotte » en 1605. Il a participé à la bataille navale de Lépante en 1571 où il perdit un bras. Il fut prisonnier 5 ans au bagne d'Alger. Il aurait connu la prison en Espagne. Ces nouvelles sont exemplaires mais pas doucereuses et ne cachent pas la dureté inexorable du système féodal. Elles sont tout de même très datées et il est difficile de s'imaginer l'Espagne du XVIème siècle si typée. L'auteur dépeint l'esprit de classe et ses préventions. Il y a les nobles et les roturiers, les lettrés et les illettrés, les fortunés et les gens de peu. Le grand souci des personnages reste la survie en un univers hostile dans un pays corseté et avide où les valeurs de la « Reconquista » ont disparu. D'un côté il y a des rêveurs idéalistes qui ont pour référence morale les idéaux chevaleresques, de l'autre des arrivistes cyniques qui idolâtrent l'argent. Il se dégage une atmosphère douce amère de ces nouvelles où parfois on ne sait s'il faut rire ou pleurer. L'or des Amériques se heurte à la nostalgie chevaleresque. Les personnages sont émouvants, picaresques, décrits avec une grande justesse psychologique et l'on se dit qu'il fallait du ressort pour éviter le naufrage et les suborneurs. Le vocabulaire est très riche et les amoureux du vieux langage y trouveront leur content. A la satire plaisante des travers humains succèdent des scènes délicates et tragiques. La description des personnages est précise et colorée. Sous les apparences d'une ironie légère et désabusée, la peinture réaliste des personnages et les situations où ils s'animent établissent un constat critique de la société cruelle et inégalitaire de l'Espagne d'alors. Plus que de nouvelles exemplaires il s'agirait de contes philosophiques et anecdotiques dans le cadre très spécifique de l'Espagne du XVIème siècle.
Gwenael CONAN

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