jeudi 27 mars 2008

La belle image de Marcel Aymé

Quelle que soit l'opinion qu'a chacun d'entre nous sur son propre visage, une chose est sûre c'est que c'est bien le nôtre et qu'il n'appartient qu'à nous. Raoul Cérusier directeur du petit cabinet d'affaires qu'il a créé, présente celui du Français moyen parfaitement insignifiant. D'ailleurs personne ne le remarque et il s'y est fait. Bon mari (par amour ou par défaut ?), père de famille attentionné, amant « accidentel » de sa secrétaire, il passe totalement inaperçu et traverse la vie sans se poser de questions.
Or un beau matin, sans qu'il puisse y trouver une quelconque explication rationnelle, son reflet dans le miroir lui renvoie un autre lui-même. Son visage s'est métamorphosé, ses traits sont différents. Il est méconnaissable et ... séduisant ! Le rêve, serait-on tenté de dire, pas sûr !
Dérouté, désemparé devant sa nouvelle apparence, il réalise avec effroi que tout contact avec les êtres qui peuplaient sa vie jusqu'à présent lui sont devenus impossibles. En effet, qui malgré les preuves qu'il pourrait fournir croirait à un phénomène aussi étrange. Cette histoire dépasse l'entendement. Et pourtant, le fait est là. Résolu à sortir de cette situation rocambolesque, il met en œuvre une stratégie de dissimulation et d'exploration d'horizons nouveaux. Découvrant son pouvoir de séduction, il se risque à en jouer, timidement toutefois car, toujours amoureux de sa femme, il décide de la reconquérir. Seulement voilà, y parvenir prouverait qu'elle peut lui être infidèle et cela il ne le supporterait pas. Malgré tout, la tentation est trop forte. Une seule personne est susceptible d'entrer dans la confidence et d'admettre l'inadmissible : son oncle, inventeur original et farfelu, mais le soutien qu'en espérait Raoul va se retourner contre lui. Cérusier est pris dans un piège qui vire au cauchemar. Rien de dramatique pourtant dans ce roman. Habilement, Marcel Aymé par la bouche de son héros qui s'exprime à la première personne nous propose une réflexion sur la place, dans notre relation avec les autres, de notre apparence physique et de l'idée que l'on s'en fait. Jusqu'à quel point conditionne-t-elle notre caractère et notre comportement social. Le ton est alerte mais le propos est grave. La solitude et l'incommunicabilité auxquelles le personnage est confronté nous touchent. L'intimité que crée sa parole nous plonge au cœur des dilemmes qu'il traverse, et l'on ne peut s'empêcher de se demander de quelle façon nous réagirions à sa place. A une époque où la chirurgie esthétique est devenue une pratique courante, on s'interroge sur l'impact émotionnel et psychologique d'une telle intervention sur la personne elle-même et sur son entourage. Un roman court, léger, facile à lire et qui cache bien son jeu. Pour ma part, ayant terminé le livre le soir avant d'éteindre la lumière, j'ai été rassurée de retrouver le lendemain mon décevant mais familier reflet dans le miroir !
Florence TOUZET

Aucun commentaire:

Publicité