jeudi 14 janvier 2010

Je vivrai l'amour des autres de Jean Cayrol


Le roman est divisé en deux parties bien distinctes. La première ressemblerait à une longue harangue au lecteur, elle s’intitule Il vous parle. Un jeune homme de vingt quatre ans raconte à la première personne sa vie de mendigot, de chômeur. Nous sommes quelques années après la seconde guerre mondiale et il vient d’être libéré du camp de Mauthausen. Les jours se ressemblent du fond de sa chambre d’hôtel où il n’y a de place que pour un lit et vivre couché.
La deuxième partie est un récit écrit à la troisième personne. Le lecteur passe quelques jours avec Armand. Le quotidien est le même. Pourtant Armand travaille, il vit avec Albert et Lucette, dans un débarras qu’ils lui sous louent. Armand existe à travers leur amour. Pourtant peu à peu, Armand s’ouvre au monde, il s’aperçoit qu’il a quelque chose à partager, ne serait-ce que sa misère et son ignorance.
Jean Cayrol est un maître de la littérature, il excelle dans la description des petits matins glauques. Grâce à l’accumulation de détails, d’infimes annotations, il rend palpable la solitude dans laquelle chacun de ses personnages se débat.
Les caractéristiques romanesques suivent le statut des personnages. Les dialogues sont peu nombreux ou en charpie, comme une vieille étoffe trouée, usée par le temps. Les phrases balbutient ou sont lapidaires, car tous les mots ont été ôtés aux rescapés des camps qui doivent réapprendre le mouvement des lèvres.
Le roman de Jean Cayrol a aussi des visées ontologiques : que peuvent les mots après l’horreur des camps ?
Je vivrai l’amour des autres est un beau roman à la charnière entre deux époques littéraires, après les grands romans existentiels et avant le Nouveau Roman. C’est une œuvre saisissante de vérité et d’émotion retenue.

Jacky GLOAGUEN

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